Un peu d’histoire 

Le problème de l’obstruction des voies respiratoires supérieures secondaire à une augmentation du volume des végétations et des amygdales est connu depuis des siècles, et l’ablation chirurgicale devint largement utilisée dès le 19ème siècle. Les enfants présentant une telle obstruction étaient décrits comme ayant un comportement difficile et un retard mental. L’amélioration spectaculaire de leur état après adénoïdo-amygdalectomie a conduit à proposer systématiquement cette chirurgie même en l’absence de symptômes. Puis des décès sont survenus, principalement après des saignements secondaires et cette habitude a disparu, sauf pour les enfants symptomatiques pour lesquels,  cette chirurgie reste la principale proposition thérapeutique.

Bien que des ronflements aient parfois été mentionnés dans ces premiers rapports, le rôle clé du sommeil et son effet aggravant sur l’obstruction des voies respiratoires supérieures n’ont pas été pleinement reconnus avant que le regretté Dr Christian Guilleminault ait démontré l’existence d’apnées obstructives chez des enfants enregistrés en polysomnographie nocturne, en 1976. Néanmoins depuis lors, la médecine du sommeil a eu des trajectoires très différentes chez les adultes et chez les enfants. Chez les adultes, la prise de conscience de la fréquence des apnées du sommeil, de leurs multiples conséquences et l’existence d’un traitement efficace non invasif, la PPC, ont conduit au développement exponentiel des laboratoires de sommeil de l’adulte. Ces laboratoires sont devenus le pivot de la prise en charge, à la fois diagnostique et thérapeutique ; on estime que la PPC est actuellement utilisée par plus de 15 millions d’adultes. Les services destinés aux enfants, en revanche, ne se sont pas développés ; principalement, je pense, parce que, dans la pratique clinique, on considérait que si l’enfant présentait des symptômes d’apnée du sommeil, il suffisait de l’opérer des amygdales. 

Il est vrai que l’adénoïdo-amygdalectomie a permis à de très nombreux parents de retrouver « un enfant différent », moins hyperactif, moins perturbateur et dont les faibles performances scolaires se sont améliorées du jour au lendemain. En conséquence, certains cliniciens refusent toujours de reconnaître que pour d’autres enfants, le résultat post-opératoires n’est que partiel voire mauvais. Pourtant de nombreuses données de la littérature récente montrent qu’environ un enfant sur trois garde des difficultés liées à la persistance d’un certain degré d’obstruction pendant le sommeil : quelques-uns sont même aggravés après la chirurgie.

L’importance des structures dédiées au sommeil des enfants

Le besoin de services dédiés au diagnostic et à la prise en charge des problèmes de sommeil chez les enfants commence à être connu mais le processus reste très lent. L’un des problèmes majeurs est que les troubles ventilatoires obstructifs du sommeil (TVOS) sont effectivement moins fréquents  chez les enfants que chez les adultes. Mais ils sont aussi sous-estimés. Nous classons toujours la sévérité de l’apnée du sommeil avec l’indice d’apnée-hypopnées (IAH). Chez les enfants, c’est une hérésie ! Christian Guilleminault et moi l’avons souligné à plusieurs reprises ; nombre d’enfants souffrant d’obstruction grave pendant le sommeil n’ont pas un IAH élevé ! Ces enfants sont donc négligés. Les deux principaux mécanismes expliquant les conséquences des TVOS sont la fragmentation du sommeil et les épisodes répétés de diminution de l’oxygénation du sang. La plupart des enfants obstructifs ne subissent pas de modifications majeures de la teneur en oxygène de leur sang. Ils se réveillent avant ! Ce sont ces micro-éveils qui perturbent gravement leur sommeil avec des effets très marqués sur la fonction cérébrale. Des travaux expérimentaux suggèrent également que, les TVOS non traités dans l’enfance peuvent prédisposer à des maladies cardiovasculaires.

Le rôle clé de la PPC

En Australie, nous avons commencé à utiliser la PPC et la VNI chez les enfants peu après l’avoir utilisée chez des patients adultes dans les années 1980. En l’absence de laboratoires du sommeil pédiatriques, le professeur Waters et moi avons créé les premiers laboratoires de sommeil pédiatrique au Westmead Children’s Hospital et au Sydney Children’s Hospital. Ces premières études concernaient des enfants syndromiques, atteints de syndromes d’hypoventilation mais aussi des enfants apnéiques sévères n’ayant pas répondu à la chirurgie ou n’ayant pas pu subir d’opération. Jusqu’à récemment, ce traitement pourtant non invasif reste largement réservé aux enfants syndromiques chez qui la chirurgie ne fonctionne pas, et aux enfants en insuffisance cardiorespiratoire aiguë – mais même dans ces cas, le processus a été lent à s’imposer. Ma double implication dans le développement de la médecine du sommeil chez l’adulte et en pédiatrie m’a convaincu que la principale difficulté vient du manque de compétence actuel des services de sommeil pédiatriques pour démarrer le traitement par PPC et VNI. Ceux qui existent sont restés des services de diagnostic pré-amygdalectomie, pas des services de soin et ils n’ont pas encore développé les filières adaptées : infirmières cliniciennes, thérapeutes respiratoires pédiatriques. En attendant, nous assurons les mises en route de PPC. Je pense que le problème reste le cas dans la plupart des services de sommeil pédiatriques au niveau international.

L’avenir

Pourtant, il ne fait guère de doute que la PPC occupe une place très importante dans la gestion des TVOS dans l’enfance. J’estime qu’elle devrait être utilisée beaucoup plus largement, y compris lorsqu’une intervention chirurgicale est envisagée. En fin de compte, l’utilisation à court terme de la PPC pourrait bien changer la façon dont ce problème est géré; un essai thérapeutique avec PPC permettrait de confirmer la part des symptômes liée aux TVOS et au moins de préparer l’enfant à la chirurgie. Je pense que si la PPC est utilisée tôt et régulièrement, elle est susceptible d’améliorer à la fois l’enfant avant la chirurgie et, dans de nombreux cas, elle peut même réduire le besoin d’y recourir ; passer un cap ; donner du temps à l’inflammation du tissu lymphoïde pour se résorber et limiter l’obstruction, laisser le temps au traitement orthodontique et à la rééducation myo-fonctionnelle, au contrôle du poids. C’est pourquoi le projet IDEAS bénéficie de tout mon soutien lorsqu’il se donne pour mission de créer un réseau de professionnels de proximité, impliqués et formés qui accompagnent l’enfant, au plus proche de son domicile, de l’évaluation clinique de suspicion de TVOS à la confirmation diagnostique en laboratoire de sommeil puis le guident dans une prise en charge globale qui ne néglige aucune option thérapeutique, et notamment savoir recourir à la PPC si nécessaire. 

Résumé et traduit de l’anglais par le docteur Perriol avec l’aimable autorisation du professeur Sullivan.